Montage sonore et chaos visuel

DAVID CANTIN
Le devoir, 12 mai 2001.


Démarche maximaliste, processus d’accumulation, improvisations déroutantes, voilà quelques-uns des termes qui reviennent le plus souvent lorsqu’on demande aux membres d’Eltractor de définir leur approche.

Samedi  soir prochain, le trio audio-vidéo de Québec prendra d’assaut le cégep de Victoriaville dans le cadre de la 18e édition du prestigieux Festival international de musique actuelle. 

Un spectacle aussi déroutant que subversif où Boris Firquet, David Michaud et Fabrice Montal s’amusent à combiner les textures sonores et à entasser les couches d’images. Une invitation qui ne se refuse pas. 

Depuis 1996, cette formation tente de mettre au point une relecture chaotique du monde de  l’ information de masse. Sur un immense écran, une surprenante concentration de déchets audiovisuels s’additionne à un rythme effréné alors qu’une musique électroacoustique extrêmement violente intervient sans cesse pour former une matière sonore des plus opaques.

Chaque concert étonne, déconcerte et ne laisse sans doute aucun spectateur indifférent. 
Comment le public averti du FIMAV réagira-t-il à pareille expérience sensorielle?

Pour le vidéaste Boris Firquet,«la méthode d’Eltractor se rapproche beaucoup de celle que préconisent les musiciens de free jazz. On utilise un canevas formel au départ, mais l’agencement de  sons et d’images provoque souvent d’heureux hasards. Bien que le travail soit chaotique à la base, il y a une volonté de synchronisation entre chacun. Mes images vont avoir un effet sur la base électronique avec laquelle David et Fabrice travaillent.

Au delà du plaisir, on tente de construire un discours plus pointu et davantage ciblé d’un extrait à l’autre. Il faut savoir qu’un tel processus ne s’invente pas du jour au  lendemain. Pendant près de trois ans, Boris Firquet et David Michaud ont multiplié les pratiques artisanales avec des moyens parfois plus que limités. Il ne s’agit  pas de présenter n’importe quoi de n’importe quelle façon.

Selon Fabrice Montal, qui s’est joint au groupe en 1999, il existe toujours le danger d'en faire trop. Comme on procède par accumulation, l’improvisation à partir de canevas comporte aussi sa part de risque.

On ne voudrait pas devenir les esclaves de toutes ces machines. Il faut donc amener les logiciels à faire autre chose, définir une ligne de pensée plus rigoureuse.

Toutefois, on ne se parie jamais avant une performance. L’essentiel est de toujours faire place à l’élément de surprise qui émane d’un flot de perturbations semblable.

Comme le trio le mentionne à la dernière phrase de son manifeste, «Eltractor ne croit pas en l’avenir du ronflement ». Les explorations  chimériques du groupe se font à grands coups d’attentats numériques, d’humour dénonciateur et de captation en temps réel des images qui se dégagent de ces incursions avant-gardistes. La musique va de pair avec cette synergie humaine et informatique. 

Quelque part entre le  côté  agressif du bruitisme, la rythmique ultrarapide du drum ’n’ bass et une techno viscérale, un spectacle d’Eltractor ne laisse aucun répit.

Pour David Michaud, «la déconstruction du discours musical et visuel que revendique Eltractor trouve peut-être ses racines dans certaines influences punk de l’adolescence. Nos performances ne cherchent pas tant à choquer qu’à surprendre grâce aux associations qui se relancent constamment. 

On interroge la relation que l’individu entretient avec la technologie. À d’autres moments, il est question du royaume animal ou du corps humain. L’idée n’est pas d’imposer un discours mais plutôt de permettre au spectateur d’avoir libre accès à cette somme d’information étourdissante.

Un peu  plus tôt cette année, Eltractor en profitait pour lancer un cédérom qui permet de découvrir le trio dans une version plus domestique. DomUSticks Ideotrons (Editions Ohm - Avatar 2001, cédérom) donne un aperçu de l’expérience Eltractor, qu’on recommande toute­fois de constater pleinement en spectacle. La formation de Québec profitera aussi de son passage à Victoriaville pour lancer le CD Eltractor Elradio (OHM éditions - Ambiances Magnétiques), qui  rassemble des pièces composées en temps réel lors de sessions d’improvisation audio-vidéo. Deux cartes de visite qui ne manqueront pas de faire beaucoup jaser, un peu comme leur prestation  au Festival  du nouveau cinéma et  des nouveaux médias de Montréal en octobre  2000.

Après l’arrêt à Victoriaville, Eltractor doit se produire au début de l’automne au Harvest Works dans le cadre de la Saison du Québec à New York. Les concerts se font parfois rares puisque trimballer tout ce matériel comporte sa part d’imprévus.

Comme me le mentionne Firquet, «on peut arriver dans la salle et tout se déroulera à une vitesse chaotique». Un seul avertissement: oreilles et cœurs sensibles s’abstenir. ELTRACTOR au cégep de Victoriaville Le 19 mai à minuit quinze.
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